Les élus d’Ajain organisent une marche populaire et historique dimanche 17 juin afin de ne pas oublier les révoltés d’Ajain, Pionnat et Ladapeyre, décédés il y a 170 ans.

En 1848, la forte hausse des impôts a coûté très cher à seize habitants du canton d’Ajain. En effet, ils ont payé de leur vie leur révolte, comme le raconte Thomas Marty, adjoint au maire d’Ajain et féru d’histoire. Tout part d’un acte de rébellion contre une augmentation des impôts de près de 45 %. Thomas rappelle le contexte de l’époque : « On se situe après l’avènement de la République et les caisses sont vides. D’où cette hausse. » Le percepteur d’Ajain tourne dans le canton mais il fait face à un vent de protestations.

Protestation contre la hausse des impôts

Tout commence le jour de la fête patronale d’Ajain, le 11 juin. Plusieurs paysans du canton accrochent alors une pancarte à l’une des branches de l’arbre de la liberté. Au bout de cette corde bien serrée, il est inscrit en lettres noires sur fond blanc : « Le premier qui paiera l’emprunt forcé sera pendu à l’arbre de la liberté. » Dans les communes, les arbres de la liberté viennent d’être plantés. Ils symbolisent la République. Mais cet humour noir n’est pas du goût des gendarmes. Quatre jours après la fête, « les auteurs présumés de cette plaisanterie sont arrêtés et embastillés à Guéret », relate le maire d’Ajain, Guy Rouchon. De village en village, principalement d’Ajain à Pionnat en passant par Ladapeyre, on se fait passer l’info. Les paysans se regroupent le 15 juin. Puis ils décident de marcher en direction de Guéret où sont emprisonnés leurs camarades.

Seize morts,  un événement qui marque l’histoire  de la commune

Cette marche est totalement pacifique mais les habitants de Pionnat ne sont pas partis en même temps et lorsqu’ils arrivent, ils poussent le cortège bloqué aux portes de Guéret. « Les gendarmes paniquent face à ces 500 à 600 personnes attroupées et tirent alors à balles réelles. » Neuf personnes s’écroulent. Sept autres décéderont par la suite. Thomas rappelle qu’en 1848, « une loi interdit les attroupements ». « D’après les études réalisées sur le sujet, remarque le maire, il s’agirait d’un malentendu car les forces de l’ordre croyaient que le barrage allait être forcé. Les manifestants souhaitaient seulement aller libérer leurs copains emprisonnés. » La taxe passera mais les habitants du canton seront rapidement libérés.
D’autres émeutes rurales ont eu lieu en France. Si les premiers historiens optaient plutôt pour une révolte socialiste au XIXe siècle, les dernières hypothèses feraient plutôt état d’une révolte de conservatisme dans une période où la République naissante effraie encore. Voilà tout un pan de l’histoire du canton que les jeunes ont oublié. Un événement tragique qui n’est pas forcément inscrit dans la mémoire locale.

Une marche de 11 km le 17 juin pour rejoindre Guéret

« Certes, il s’agit d’un événement un peu ambigu mais il a marqué l’histoire de notre commune », souligne l’adjoint au maire. D’où cette marche commémorative, à la fois « sportive et culturelle » de 11 km. « On s’arrêtera de temps en temps pour effectuer des lectures, des extraits à la fois de documents juridiques, administratifs ou du roman de Michèle Laforest. »
Aujourd’hui, l’affaire n’a pas encore révélé tous ses secrets. Comme le relève Guy Rouchon, l’emplacement de l’arbre de la liberté reste inconnu…


Une marche pour ne pas oublier

Malgré le temps menaçant, une cinquantaine de personnes a cheminé d’Ajain à Guéret, ce dimanche 17 juin. La marche commémorative, dédiée aux seize morts de 1848, était ponctuée de lectures.

A 5 km du bourg d’Ajain, au village de Langeas, en surplomb du Pont à la Dauge, le groupe de marcheurs s’arrête pour écouter Thomas Marty. L’adjoint au maire d’Ajain lit « Le tocsin », un extrait du roman Les révoltés d’Ajain de Michèle Laforest. « Et partout sur le bourg et au-delà du bourg vers les campagnes, s’envola le son du tocsin, voix lugubre et pressante, par-delà les bois de Guillard et des Peux… ». Nous sommes le 15 juin 1848. Les paysans d’Ajain, Pionnat et Ladapeyre marchent en direction de Guéret. Ils veulent libérer leurs camarades emprisonnés pour s’être révoltés contre une forte hausse des impôts.

« Je ne connaissais pas cet épisode »

Dans le cortège, certains connaissent déjà l’histoire de cette tragique révolte de 1848. D’autres l’ont découvert récemment. « J’habite à Ajain depuis trente ans et je ne connaissais pas cet épisode alors que j’ai été professeur d’histoire », note Arlette.

L’historien Daniel Dayen a retracé le déroulement de cette émeute, lors d’une conférence à Guéret, dimanche après-midi. Il s’est appuyé sur de nombreux documents. Le premier récit date de 1892. « Il se trouve dans le Bulletin des anciens élèves du petit séminaire d’Ajain », précise-t-il. D’autres publications évoquent les événements de juin 1848 : un livre sur l’histoire d’Ajain écrit par l’abbé Dardy, une brochure de 1936 rédigée par Jacques Levron, qui a dirigé les archives de la Creuse. Daniel Dayen a mené une étude approfondie sur l’émeute d’Ajain, en 1997, dans le cadre des rencontres des historiens du Limousin (qui proposaient plusieurs conférences sur les violences en Limousin). « J’ai fait des recherches, notamment à partir de l’énorme dossier d’assises. Il y avait plus de quatre cents pièces de procédure », indique l’historien.

Virginie Mayet et Catherine Perrot [La montagne du 24 mai 2018 et 17 juin 2018]